22 février 2010

 

Notes sur les années 00 : à propos de Seth Price "Die nuller Jahre"





Ce texte fait suite au visionnage d'une vidéo de Seth Price (dont cette photo n'est pas tirée mais n'y jurerai certainement pas), artiste dont on parle beaucoup en ce moment. Je l'ai trouvé très représentatif de l'essence assez glissante de ce qu'on appelle les années 00. Je ne crois pas d'ailleurs qu'il ait choisi ce titre par hasard...
Je fais donc aussi ma tentative sur les dites années 00. Prises par un certain bout de la lorgnette, celui suggéré par cette vidéo notamment, que je trouve assez paradygmatique de pas mal de choses que je vois à Berlin. Bien évidemment la décennie ne se résume pas à cela, elle a eu d'autres chats en peluche à fouetter, et il faudra peut être contre balancer la bile par un peu d'amour, car j'en ai aussi. Il s'agit vraiment de notes. Les publier sur le blog m'oblige à leur donner une première forme. Savoir si j'y reviendrais est une autre histoire.

On peut - pour le dire vite - éprouver deux genre de réactions à un travail artistique. La sensation et la réflexion. Et de là dégager deux sortes d'intentions : la critique et l'abandon. Posture critique qui d'une manière directe ou non implique de par le jeu formel d'une piece/oeuvre une remise en question sociale et une ouverture finalement sur l'espoir de jours meilleurs. Ne serait-ce que par le jeu de massacre qu'elle implique. L'utopie.
Posture (soit-disant) opposée de l'abandon qui vaut expérience esthétique pure, abandon à l'effet de la pièce, aux stimulis ou aux sensations. on plonge dans le ressenti pur, on s'oublie. L'abandon implique l'oeuvre immanente, hors du monde, qui n'échange rien avec lui. atopie.
C'est un peu la balance cosmique de l'art cette critique/abandon. C'est aussi une dialectique, on peut trouver l'une dans l'autre et inversement. Aucune oeuvre n'est vraiment d'un côté ou de l'autre. Et surtout il existe des Zeitgeist différents. Période plus critiques, périodes plus abandonnées. Je vais ici réfléchir sur l'abandon particulier des années 2000.

L'abandon ressemble en cette époque saturée de plus en plus à l'acceptation enjouée de la labilité essentielle qui nous constitue. Le début des années 90 avait initié une tentative d'abandon suprême, juste après la chute du mur, pendant la première techno. Le rêve de la disparition de l'auteur, de la fonction spectaculaire, de toute hiérarchie, du goût lui même, devant l'abandon au stimuli rythmique. avec le futur comme une éternelle continuation d'un présent extasié - abandonné. Mais on sent bien qu'il restait là quelque chose comme une posture critique/utopique née de lointaines racines autant hippie que punk, celle de la possibilité d'un "mouvement", d'ailleurs théorisé par ceux qui le pratiquaient, c'est à dire d'une posture esthétique claire (fondé sur du refus, pleine de négativité dans son extase), d'une utopie en marche. D'une forme de transformation, si ce n'est sociale, au moins des consciences. C'est que la techno célébrait une forme nouvelle, elle avait d'ailleurs un nom, très revendiqué ("we call it techno" s'appelle le docu sur la techno allemande des premières années), ce qui est déjà significatif. Les années 2000 n'ont rien produit qui puisse en porter un. Et c'est je crois conscient. L'idée d'un "mouvement" est devenu absolument inopérante. La simple croyance dans le futur paraît de nos jour totalement rétrofuturiste.

Je crois que les années 2000 se sont éloignées de cet abandon monstre et ostensible du début des années 90 alors qu'il n'était plus très frais, qu'il commençait à sentir la naphtaline. Il commence d'ailleurs maintenant à resurgir comme vieillerie en plastoc, donc acceptable parce que marrant. On rejoue quelques disques acid ça et là.
L'electro-clash qui les a inauguré, c'est le retour du post-punk, du chanteur, de la disco. D'un seul coup, tout revient. Tout est esthétiquement de nouveau valable (la techno haissait les guitares, bon exemple de sa négativité première), et c'est d'ailleurs le filon qui va à partir de là être creusé : comment aller jusqu'au bout de ce "tout est valable" ? de ce refus absolu de la négativité ? Peut-on s'affirmer en disant oui à absolument tout (ou presque Seth Price mentionne haïr les hippies autant que les punks, mais il aime bien alph à la télé. il déteste ces "mouvements" justement à cause de leur essence critique, si diluée qu'elle ait pu être. Il me semble révéler là le caractère morbide de l'absence de négativité de cette époque) ? C'est exactement la question posée aussi par les oeuvres "plastiques" qu'on voit partout dans les galeries.

C'est ce que j''appelle "les connards en fluo". La "sophistication de l'indigence" serait une façon plus polie de le dire. L'abandon des années 2000 est celui de l'amour de la médiocrité crasse, de l'inesthétisme le plus dégeu : pochettes de disques des années 70, fausses peinture proto surréalistes avec des chats ou des pingouins dans un ciel mauve, ennui sur youtube, jeux vidéos, revival années 80 - la fascination particulière pour les années 80 me semble tenir de ce qu'elles ont inauguré la remise au mauvais goût conscient, les années 80 c'est le postmodernisme premier - adoration des loups faits à l'aérographe, du mauvais métal.... Le déterrage de cadavres qu'on pensait pourtant avoir glissé sous le tapis (les pochettes de Yes ou les peintures fluos de dauphins qui sautent par dessus le soleil ) est devenu la trame même, la matière brute d'une sorte d'antidadaisme, de pratique de collage massif des intrusions les plus agressives du tout collectif dans le soi (ou adoration de la labilité, ce qui bien sûr fait sens à l'heure de facebook et consorts) et de la révération du nous culturel. universel et particulier sont brouillés, c'est entendu. la masse de la culture est disponible partout et en permanence, consommée en privée, et recrachée ensuite dans des lieux publics (youtube) sous d'autre formes... les années 2000 sont celles d'un oecuménisme fragmenté. Disparues la fraîcheur du rêve pop unitaire des années 60 (frais mais avec ce musc du Napalm), l'innocente révolte punk individualiste, le dandysme des années 80 ou la balourdise heureuse du rêve antipolitique des années 90. Chaque pièce de chaque oeuvre actuelle peut/veut prétendre trôner dans un musée du kitsch. on déterre le kitsch et l'on en produit en série. les deux strates temporelles, les x strates temporelles mélangées. la causalité de l'influence se dissout presque du coup. on dirait que les pochettes de Yes sont tirées du boulot de Seth Price, qui en a extirpé quelque chose comme une essence formelle. Ses espèces de compositions pour lignes mouvantes en 16 couleurs façon comodore 64 sont d'une assez incroyable crudité dans ce genre. Et cela ne vaut pas pour autant rapprochement de l'art avec le peuple. Bien au contraire.

La posture critique qui il est vrai est souvent devenue si ennuyeuse, a totalement été... abandonnée. Essayer de produire du grinçant ou du parlant, du "subversif" est devenu quelque chose comme la ringardise absolue. Ou plutôt : le seul grinçant est dans l'impermanence chaotique de la laideur qui nous submerge. Le grinçant est devenu immanent. L'obscène le plus total est devenu la seule chose à la quelle se raccrocher. Ce faisant cet amour de l'obscène qui désamorce la critique puisqu'il caresse avec envie son objet même me semble participer d'un cynisme généralisé qui s'accomode parfaitement de la financiarisation, de la chosification générale du monde, de la chute des idéologies. le sauve-qui-peut. là dessus je trouve que musique et art actuels se rejoignent. C'est là que se situe quelque chose comme le désespoir, dans cet amour de la médiocrité qui produit le cercle complet de "l'abandon conscient" ou est désamorcée d'avance la possibilité de la critique sociale (C'est amusant je suis géné d'écrire ça. Je ne sais plus, comme tout le monde, ce que pourrait etre un art politique à notre époque. Idéologie masquée. Terrible).
L'artiste en son je : j'ai conscience de mon origine sociale, du d'où je parle et du à qui je parle. Et je m'en branle.

L'autre élément intéressant du boulot de Seth Price est comme il rend évident, de par le fait même de voir son travail si new yorkais sur un lieu aussi emblématique que la Karl Marx Allee, les liens qui se sont tissés entre New York et Berlin. L'alliance Berlin Detroit est morte. Elle portait en elle un espoir dans le futur et un amour de la ruine, de l'herbe folle et des idéologies brisées, beaucoup trop faciles pour notre époque.
Cette sophistication de la mocheté qui vient de new york ressemble exactement à celle qu'on retrouve chez les fêtards berlinois (tous plus ou moins artistes), c'est la signature des deux centres de la pensée des années 2000. Ces rapprochements NY-Berlin, datent je pense à peu près de la naissance de l'electroclash, à Brooklyn, dans des soirées "berlinamsburg" du club Luxx. 1999 ou 2000. On y décrète la fin de la techno anonymisante ("marre de la deep-house, on veut du live, du trash et des pin-ups", fameux slogan), du caractère paracritique du "mouvement" nihiliste-hédoniste pour le retour du sexe, du rock et du punk dans un tout hédoniste-qui-cesse-de-dire-non et ouvre grand ses bras au monde et finalement remachine absolument tous les styles qu'il touche en discomachine.
Même les influences punks / agressives / industrielles sont comme vues depuis une boule à neige, s'intègrent dans une machine à danser avec les standards, une kitschmachine. L'eurodance et l'italodisco sont devenue les trucs les plus angesagt. Le kitsch "originel" (la peluche de chat de votre grand mère) peut se définir comme un désir de beauté non éduqué. le kitsch revendiqué serait le désir de cette non éducation du kitsch, un désir de désapprendre (c'est courant, et pas condamnable en soi), un désir du vide. Un désir de voir taxidermisée la nouveauté, directement gelée dans le passé/ le présent continuel de l'actuel, mise en gelée dans le kitsch dés même sa venue à l'existence. L'avant-garde devenue un avant-kitsch. Cela ressemble à une volonté très nette de ne donner aucune prise à la critique (pas la critique sociale, je parle ici de la critique "artistique" possible de l'oeuvre). Je fais moche je sais que je le fais, et je le fais mal c'est à dire bien : qui pourra vraiment trouver une faille? C'est sans danger. Je trouve ça finalement du même niveau que de faire beau et léché, c'est un refus absolu de la prise de risque.

Berlin et New York ont toutes les deux les tripes (la puissance de la scène artistique, la logistique dirons-nous) et le nombrilisme occidental blanc - je parle ici de l'élite intellectuellement productive, quand même majortairement blanche, qui aux USA aime s'auto dénommer white trash, par respect ironique pour la sous-culture prolétaire qu'elle imite avec un sourire assez flippant (white trash est comme c'est étrange le nom d'un club berlinois) - nécessaires pour tenir cette posture de cynisme amusé. Le fait que l'une soit le centre financier de la planète (incroyable quand même comme le 11 septembre n'a rien changé à l'affaire, comme il a juste poussé un peu plus, comme un seul homme la droite bushiste et la gauche antibush au même constat du restons entre-nous) et l'autre le lieu de la mort du communisme et de la gentrification progressive de la culture alternative montre comment s'innerve un peu plus l'évidence d'une culture commune à tous les centres urbains riches de LA jusqu'à Berlin, d'une sorte de culture de la rémission heureuse au système dont on ne veut surtout pas subir l'horreur mais dont on trouve la critique absolument inutile.

Ce "toutes les mochetés hybridées avec toutes les formes possibles", ce magma essentiel qui a été rendu possible par l'internet, qu'internet nous a comme imposé, est devenu la trame de beaucoup d'oeuvres qu'on peut voir dans le milieu de la nouvelle génération d'artistes. Le jeu avec la laideur, au moins aussi vieux que dada, a changé de forme. On n'essaie plus d'en tirer un certain héroisme, une certaine façon de lutter contre les valeurs bourgeoises, bien au contraire. On la prône comme la valeur petite bourgeoise ultime, par conséquent indépassable. Toute tentative de subversion est d'avance rejetée comme inutile, aussi on se contentera d'empiler les machins kitsch pour faire bien plus fort. On ne fait plus du laid-destruction mais du laid-empilement souvent tiré de tentatives un peu surranées et anciennes de faire du beau, dont on récupère les codes esthétiques. Et on s'en contente. On essaie de nous exprimer que vivre dans une maison Bouygues est la dernière limite de l'héroisme. Mais les gens qui pondent ces pièces bien entendu rêvent de tout à fait autre chose.

Seth Price m'a semblé absolument jouer avec toutes ces ficelles et de la manière la plus directe qui soit : toujours recentrée sur le médiocre le plus "absolu", voir l'obscène le plus sanglant (images de cadavres mutilé etc) qu'on avale au même niveau que le reste, les films de chats et les captures de jeux vidéos. Le parakitsch sophistiqué, la sophistication de l'indigence, l'intégration de la violence crue à la culture populaire (les bashings, fight clubs et autres) devenus notre nature.
La dissolution /recomposition du magma de la médiocrité de la culture qui nous baigne est chez Price montrée et accompagnée étrangement d'un discours parathéorique (du type l'Amérique est de plus en plus religieuse, la science oublie qu'elle a une responsabilité morale etc) qui plutôt que de rendre l'oeuvre vraiment critique me semble au contraire plonger ce genre de discours dans la même mélasse obscénisante. Voir la voix que je soupçonne d'être un peu ralentie pour lui donen ruen distance solennelle et donc humoristique... Abandon et critique sont donc devenus une seule et même chose. ou : aucun des deux n'est plus possible. Ne reste que la sophistication, qui embrasse les deux à la fois. On finit par confondre référence et consommation, confusion absolument entretenue par les artistes qui se fatiguent vite des postures trop simplistes et adorent les doubles messages (notamment parce que ces doubles messages assurent leur succès dans le complexe jeu des galeries et des curateurs et articles qui permettent comme Price le dit lui même à l'art de devenir art (je cite à peu-près)... voir l'intéressant PDF bien nommé Dispersion sur son site web). Ce qui m'inquiète là dedans est le désamorçage de l'angoisse et de la brutalité de nos sociétés considérées comme partie du tout mouvant obscène, du vomi global. Il y a derrière ça une façon "cool" de se vautrer dans la merde qui me semble très dangereuse. Nonobstant la qualité, indéniable, le travail fourni, indéniable (qui me semble le dernier reste d'esthétique "bourgeoise" à l'ancienne, c'en est presque surprenant, mais le geste de bosser des jours et des jours sur des trucs aussi moches est tout de même assez pervers en soi). J'ai l'impression que de Jeff Koons à Price il y a eu comme une aggravation dans la célébration du gerbi. Koons avait encore de l'amour pour ce qu'il travestissait (j'en parle au passé tiens...), ce qui est bien moins évident avec la nouvelle génération. qui d'ailleurs ne travestit plus. Mais n'ouvre (toujours) pas pour autant le livre de la critique.

Cette décomposition en acte n'amorce qu'avec une sorte de recul dégoûté une recomposition de la forme. Elle vient mais elle ne veut pas sortir. Les années 2000 sont celles d'un rêve assez mortifère de dissolution figée, de taxidermisation du chaos social. Peut être est-ce encore un avatar du caractère objectivement mortel de l'argent, la relation de la dématerisalisation de la possession à la transformation des êtres en choses. Le rêve d'une immense vitrine où le monde, surtout la culture populaire, serait punaisé comme une collection de papillon. a la fin, le chaos esthétique des années 2000 me semble hair le chaos en tant qu'il pourrait être force de régénération. et vouloir le prendre pour tel, le photographier. le graver dans le marbre. ou plutôt le plastique à canard de bain.




Je rebondis sur ce que je viens d'écrire avec cette image, qui n'est pas tirée de son expo mais me semble parfaitement éloquente (à la fois de son boulot et des années 00).
Seth Price ne sort jamasi son pistolet quand il entend le mot white-trash. Il sort son dispositif han-solo. C'est Niels qui m'a mis sur la voie de Han(Ian ?) Solo. Divers rebuts (notamment on ne le voit pas ici des cordes de marins, je vais revenir là dessus) plastomoulés dans la plasticité très plastique du plastique. Et du mouvement figé. Ces pièces figurent la vie suspendue (plus que la décomposition de la mort qui est plus intéressante puisqu'elle implique l'entropie, c'est à dire des changement de rapport, des recompositions). C'est à dire que l'impasse même de la forme est figurée par le dispositif lui même. L'utilisation de cordes de marin, objet moche flingué de cliché qui sied très bien à son désir de trash est aussi une façon de d'utiliser le lien même, le rapport entre les egsn et les choses et de le figer lui même. Il ne nous reste plus qu'à peindre quelques motifs coloré gerbi sur le cadavre thermomoulé de la culture occidentale. La sensation de l'impasse est réifiée. L'oeuvre aussi quitte délibérément tous ses rapports avec le monde, elle est suspendue dans un ailleurs abstrait, ce qui rapproche en cela Price de Hirst (je reviendrai sur Hirst parce que voyez vous j'ai ma petite idée sur la question). C'est là que se situe mon impasse personnelle sur une certaine partie de l'art contemporain (et en écrivant cela je suis terrifié de passer pour un Jean Clair bis ou un vieux connard de droite, bref cela demande finalement un petit courage vis à vis de soi de ne pas toujours embrasser le nouveau, surtout ce genre de nouveau là...), dans cette figuration consciente ou non de l'impasse. Je crois encore à un art qui nous ouvrirait à un monde où pendre des traders serait possible (pardon messieurs dames les banquiers, c'est une image), c'est à dire plus profondément, où il existerait une autre façon de raisonner. Price donne une fin de non recevoir à l'utopie de la forme, assez cinglante admettons-le, du même acabit que celle des fonctionnaires du FMI. Est-ce un jeu sur le désespoir, donc une poésie ? J'ai trop de soupçons sur le matérialisme (l'amour abandonné du matérialisme) représenté pour m'y abandonner. Price exprime cette fin de non recevoir, sa cohérence fait de lui un vrai pro, dans son dispositif même. Je n'arrive pas à aller plus loin. Sa montée rapide dans les cercles de la renomée et (plus grave) de l'influence plutôt que de me faire pester contre l'animal, me semble figurer parfaitement où les annus horibilis zéro (11 septembre george bush le pognon la catastrophe sur nous les guerres l'impasse de la diplomatie internationale, la décomposition en bocal (aussi) du processus de paix/guerre israelo-palestinien, la plus sombre décennie depuis des lustres etc etc etc) nous ont non-mené.

Je ressens l'attente de la nouvelle forme partout (enfin surtout les mélomanes me semblent trépigner d'impatience) mais je ne parviens pas à la voir venir (mais j'avoue avoir toujours eu de la merde dans les yeux sur la nouveauté) parce que je la sens aussitôt venue aussitôt mise en gelée (en plastique). Il serait obscène de produire du neuf qui ne soit pas hommage à la merde.

La magnification de l'ennui qui devient légende personnelle, était un des traits du punk. Pas son meilleur. Mais ça avait une certaine pertinence (anti-hippie, anti "joie de vivre forcée") à l'époque. Les années 2000 ont fait de cette ligne de conduite un requisit esthétique minimal. On le remet à son niveau d'ennui chiant, on le réifie en tant qu'ennui absolument sans intérêt particulier et on le révère comme tel. On l'intègre à une joie de vivre nouvelle qui se regarde ricaner elle-même. Les pieds dans la boue et le sourire au bec.
Le rebut est à la mode. Je veux dire, pas cet amour des déchets presque aussi vieux que le 20e siècle, mais plutôt le ressac de la culture populaire dans son ensemble. La fin des années 80 avec son sampling et sa folie des premiers ordinateurs tentaient une magnification de ces rebuts dans une nouvelle forme. cahin-caha mais ça a pris.
La remise en forme est maintenant considérée comme une dangereuse - danger de la ringardise - posture critique, finalement un irrespect du sublime en soi de la chose utilisée. Il y a comme une sidération de la laideur. Le sampling n'existe plus. le collage non plus. nous sommes dans l'ère où le vrai second degré est de tout prendre au premier degré. Vraiment aimer Sandra (Maria Magdalena).

Cet amour du chaos, ce prosélytisme de la dissolution (on remixe, on retriture, on superpose, on "plunder") qui est très heureux en soi, se doit pour fonctionner façon 00 d'être d'une absolue non ostentation et se présenter comme médiocre/modeste pour avancer. Il est agressivement opposé à tout ce qui pourrait ressembler au dévoilement de la possibilité de la critique qu'il contiendrait. Même si je crois quand même que Price, à la différence de pas mal des artistes moins bons mais similaires que j'ai pu voir ici, laisse échapper quelques soupirs pour nous montrer l'impasse dans laquelle nous sommes (ou plutôt le rêve morbide d'être dans une impasse ?).

Le matérialisme induit par cette médiocrité révérée (l'argent c'est cool puisque c'est moche)revient toujours et encore à célébrer comme posture artistique l'affichage de ses indécences. C'est un refrain connu depuis les années 80. Je le ressens quand je visite les galeries. Et en ce sens le monde de l'art est rempli de kékés qui se lacheraient sur les humers si ils avaient un peu le courage de leurs opinions.

L'apathie ostensible des fluos kids (oh la génération d'avant ne mérite pas non plus une médaille hein !) et l'interminable agonie de la restauration regannienne qui en fait ne cesse jamais de renaitre sous mille formes malgré l'évidence de son indigence, de ses echecs patents, me semblent aller de pair. La crise des subprime et la longue route pour en sortir, vont peut-être finir par changer la donne. On a peur cela-dit que cela occasionne un retour à une sorte de sobriété facile et "engagée" qui serait aussi - et de manière très perverse, un désengagement critique (l'amour de la nouvelle pensée unique, le retour des hippies). On verra bien.
Vivement les années 10.

PS : Le reganisme increvable a sa version française. Le renfermement sur soi et l'apparente impossibilité critique aussi : l'hallucinant enchaînement de ces derniers mois sur l'Islam (minaret, poulet halal, candidate npa voilée attaquée en justice etc etc etc) doit aussi beaucoup au vide laissé par la gauche et par ses avants-gardes notamment artistiques, co-responsables de la défaite généralisée du vivre ensemble que la droite nous impose goulument (le maire de gauche de Roubaix qui nous fait son scandale au poulet Halal).

PPS : J'accepte l'argument générationnel (je vieillis ouaip) sans souci. Seth Price a mon age d'ailleurs je crois, ou à peine quelques années de moins. Mais nous avons dirons-nous des façons différentes d'être grognon. En fait on pourrait même creuser ça et se poser la question de l'ironie dans la forme, qui commence à me courir sur le haricot. Et ça ne date pas des années 2000.

Comments:
Le plus difficile, ça va être de comprendre ce que veut VRAIMENT dire "la fin des idéologies"...Comme si 2001-2010 avaient été un genre de creux dans la prise de conscience de cette idée...ou le moment de silence avant la déflagration conceptuelle...
 
ici ça veut dire quelque chose comme le non remplacement des deux bons vieux blocs, et l'incertitude crasse de tout ce qui ressemble à des (attention vocabulaire kitsch : ) "forces de progrès" ?

j'aime bien l'idée du silence avant ... (c'est porteur d'un espoir du grand soir mon Eg ??)
 
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