18 août 2009

 

Benjamin Markovits - imposture

Dans la série des hasards à haute teneur intime, celui-là se pose là : j'errai dans une librairie du 20e arrondissement et j'y regardai vaguement si ils avaient nos livres (et bien oui et non : ils les avaient presque tous vendus !). J'achète la Revue internationale des livres et des idées (la RILI, faut sortir !), je passe mon œil sur le rayon littérature américaine à la recherche d'un nouveau David Foster Wallace (il s'est suicidé et la France s'en fout semble-t-il), si quelqu'un s'était donné la peine de continuer l'oeuvre monumentale de traduction de son oeuvre monumentale (rôle semble-t-il dévoué par nature à mon voisin de pallier).... et je tombe, mon oeil tombe, sur un ouvrage appelé imposture (pas de majuscule, évidemment). Je me dis "oh c'est amusant, je vais lire la quatrième de couv". Depuis quelques semaines, depuis l'arrachage frénétique de la fin de rédaction de mon Berlin Sampler, la pause relative dans le sens figuré (qui a trois bouquins en préparation tout de même), mon cerveau tourne autour de ce terme déshonorant. avec comme horizon la peur panique, bourgeoise, qu'on me tombe dessus, qu'on me TOMBE LE MASQUE... même si j'ai conscience de la vacuité de la démarche du tombage de masque elle même ( l'ouvrage idiot de Sokal et Brickmont "impostures intellectuelles" qui visait à laisser la science aux scientifiques durs et pousser les "mous" et les philosophes hors de leur galimatia, s'avère aussi asséchant que la paillasse d'un laboratoire dédié au miracle socialiste sous Staline devait être stérile). L'imposture me tourne la tête car j'ai conscience d'être un imposteur. N'étant pas universitaire (en tout cas pas philosophe), de quel droit pondè-je une collection de bouquins de philo, vulgarisation ou non ? N'étant ni musicologue, ni historien, ni berlinologue, d'où me vient le fonds de mon Berlin Sampler ? Je me souviens de moues un peu dégouttées de mes amis à l'évocation de mon projet d'un texte sur George Ruggiu, le hutu-blanc qui a participé à un génocide lointain avec lequel il n'avait rien à voir... et ma sensation maladive de commettre une FAUTE à pondre sur l'insondable, l'au-dessus de mes moyens.... d'ailleurs en revenant sur ce projet l'été dernier je disais encore "Là il y a bien sûr cette tentation coupable, même si le texte est sobre, d'auteuriser avec la vie des autres"... Et dans le genre, la musique que j'ai pu produire avec une absence de technique vaguement revendiquée un peu mais jamais totalement assumée comme telle... ma musqiue bancale au mieux, souvent proprement incapable mais pourtant toujours appliquée, je n'ai jamais pu m'en empêcher, jamais vraiment vomie... bref il me semblerai que le Begriff, le concept, d'imposture/imposteur soit absolument central, commun, à toute ma production... que j'ai pu en avoir honte, en avoir des sueurs froides, en être malade, m'en réveiller la nuit de panique (mais qui suis-je putain pour écrire 10 pages sur le Pierrot lunaire hein ?)... c'est d'ailleurs toujours le cas, mais moins. ...et j'ai pourtant fini par comprendre en relisant mon dada, mon punk, mon dillétant génial (voir Berlin Sampler, 14 euros chez Ollendorff & Desseins en novembre prochain), j'ai fini par comprendre l'ultime vérité : il faut revendiquer l'imposture. Tout auteur qui écrit, prétend finalement savoir décrypter mieux que d'autres, ou que son décryptage a quelque mérite pour le moins, il est déjà en cette position, un imposteur. il s'impose. il joue des coudes, il ment, il ment en allemand (ou en javanais), comme un arracheur de dent. Il fait le beau. Il lève la papatte pour jouer à celui qui sait marcher debout. Et le fait d'être titrisé, labellisé rouge-université, carmin-cercle littéraire, bleu électrique du succès, ne vaut en rien contre-imposture. L'imposture est un geste d'une grande beauté. sont laids ceux qui prétendent l'avoir dépassé, écrasée, foulée au sol. Sont beaux ceux qui n'ont jamais pu s'en dépatouiller. l'imposture est un sparadrap. c'est cette danse du décollage impossible qui est comme le vrai beau, un geste d'une fragilité démesurée. Et nos tentatives pathétiques de déguiser l'imposture sous la référence, le savoir, le bien fait, le bien emballé, sont belles comme des histoires d'amours qui finissent mal. ce sont elles qui empêchent l'œuvre de devenir œuvre, au dessus de l'imposture. l'au-delà, le grall, l'impossible. mais n'y touchez pas elle est brisée... c'est peut-être aussi pour ça que je n'aime pas la pop, que même si je lui reconnais toujours sa qualité, ce truc qu'on appelle harmonie et enchainement d'accords, avec un super-son-qui-déchire est esthétiquement parlant un truc de kéké, un plein la vue (les oreilles) illusoire, un crime par intention. Si l'on veut et si l'on ose, encore une imposture, l'art c'est l'art d'être un imposteur. Une poésie de l'imposture, pas une stratégie (les stratèges de l'imposture, leur cynisme-humour-art-contemporain-universitaires finiront le jour de la révolution le dos au mur avec un bandeau, et il n'y aura personne pour les chialer, pas même leur maman). Bref l'imposture me titille, je la reconnais depuis quelques semaines comme mon amie, j'essaie de comprendre le beau en elle plutôt que de tenter poussivement de la dépasser... j'en suis là de ma réflexion quand "tout à coup", soudain,

....

à la librairie L'atelier de la rue du Jourdain à Paris au rayon littérature américaine mes yeux tombaient sur ce titre, imposture (sans majuscule), et je repensais à ces impostures qui font ma vie en ce moment. Je le retire (le livre) du rayon et je tombe sur cette phrase "La carrière du jeune et talentueux docteur John Polidori prend son essor lorsque le célèbre poète Lord Byron..."
Je ne vais pas plus loin. Mon petit coeur a pris un coup de hasard circonstancié aux tréfonds de son balancier : j'ai en mes temps de chômage et de semi-désespoir de musicien en voie de ratage, eu ma phase Mary Shelley. Qui a écrit le noyau de son Frankenstein lors d'une fameuse soirée en Suisse, pendant un orage grotesque et démentiel, dans un petit château où elle était en villégiature. La petite société s'est décidée à faire un petit concours d'histoires de fantôme. Étaient présent Mary Shelley, son mari le poète Percy Shelley, Lord Byron qui dirigeait les opérations... et le docteur Polidori - le doc personnel de Byron - qui allait connaître un immense succès avec le The Vampyre, longue nouvelle tirée de cette même soirée ou Mary Shelley a inventé son "prométhée moderne"... Le docteur de Byron et la femme du poète Shelley, les deux écrivains en herbes, les deux imposteurs de cette fameuse soirée sous l'orage dantesque, ont produit quelque chose qui pourrait peut-être bien les faire durer plus encore que leurs maîtres (sans The Vampyre de Polidori, pas de Dracula de Stoker, pas de Nosferatu de Murnau), les deux grands, les deux colosses immenses intouchables Byron et Shelley-Percy. Quand elle a faim, l'imposture a de l'avenir, voyez-vous...

Le livre - imposture - a été écrit par un certain Benjamin Markovits, que je ne connais pas, et semble bien tourner autour de cette fameuse soirée de 1816 à Coligny en Suisse, soirée dont j'ai essayé à plusieurs reprise d'écrire quelque chose comme un scénario ou une nouvelle qui la raconterait à ma manière gothique non-flamboyante, projets avortés faute d'un véritable angle d'attaque (il existe un film au moins, médiocre, sur la susdite soirée, un truc d'ados américains mou du genou, et quantité d'écrivaillons s'y sont de toute façon essayé) .... l'imposture Benjamin, l'imposture ! Benjamin Markovits tu es, avant même que je n'ai ouvert ton machin, ton livre, ton œuvre, ton masterpiece, ta daube, que sais-je, mon sauveur, mon copain, mon poto.

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