30 novembre 2012

 

Dans ma commode (1) - - Gore Mean man's Dream


Pour une rapide explication du pourquoi de ce post, voir message précédent (donc du dessous).

Pour écouter la musique, scroller en bas du post

J'ai eu une courte et intensément passionnelle histoire d'amour avec Gore. Je dirais vers 94, dans le plus haut de ma vague "j'écoute des musiques insupportables bruitistes et tous les autres ne sont rien que des taffioles. des fiotes. des lâches. des traitres. des droitiers".

je me sentais schizo… j'allais à cette époque beaucoup en rave et je commençais à apprécier les bonnes sensations de la techno, qui s'opposaient totalement à ce déversement de malsainitude (comme au dégoulinement de joli-itude de mes amours précédentes, dead can dance, and also the trees et j'en passe). Je me sentais le cul entre deux chaises. pas holistique pour un sou. Il y a pourtant un temps pour rouler des pelles sur de la musique solaire au petit matin et un temps pour rêver découper des nouveaux nés avec une scie sauteuse. les deux ne sont pas en concurrence esthétique. Contrairement à ce que pas mal de mes amis des deux camps (les technophiles et les bruitistophiles) pouvaient me laisser entendre. C'est large une psyché. et sa tourne sur soi-même. La plupart des machins que je m'infligeais (skin chamber, God, 16 17, Naked city etc) à cette époque ne supportent cela dit pas du tout, mais alors pas du tout, la simple idée de la réécoute (oder ?). Mais là en tombant sur ce CD de Gore mon petit coeur a bondi…

Voyez la pochette. Un couteau gris sur fond gris. Aux quasi-limites de l'abstraction, mais bien lourdingue quand même. La musique est exactement à son image. L'épure de l'horreur. On enlêve les zombies qui font rire et on se contente de l'idée du meurtre, ça suffira. Comment faire d'un genre aussi guignol que le heavy metal quelque chose d'épuré ? Quelque chose de sec ? On sait bien que les clowns de Slayer (ou autres) pour soutenir leur cirque (par ailleurs magnifiquement défendu par ses fans) accumulent tous les signifiants sataniques possibles et imaginables tout en empilant les records de vitesse et les solis qui tuent. On sait comment ça marche. l'accumulation devient un sport en soi. La course à l'armement prend les fans par l'échine. Mais le vide ? Comment une musique entièrement faite d'ornement pourrait elle exister sans ornements ? Sans zombies qui font rire, sans grincements de portes, sans chanteur peroxydé ou über-masculin ? Un genre aussi saturé (sans mauvais jeu de mot) que le métal peut-il subir une thérapie par le vide ? Et pourquoi donc ce genre de oiseuses questions pourraient-elles m'intéresser ?

D'abord, Gore compense tous les oripeaux jetés à la poubelle par une perversité décadente justement due à la distance esthétique qu'implique leur minimalisme. Gore narque. Gore pratique la musique la plus narquoise qu'on puisse imaginer. Leur épure vient gâcher l'orgasme metal classique, empecher le vomi-zombi, le refuser, te le dénier sèchement… Et c'est de ce déni que nait son étrange érotisme brutalo-pervers.

Mais Gore ne va pas non plus vous refiler un certificat de bon gout esthétique garanti. C'est là que ça commence à devenir poilant/glaçant. Gore n'est pas sonic youth. Gore ne va pas chercher ses influences chez des artistes qui ont déjà digéré le bouzin pop (petitbon, burroughs, velvet etc). Gore reste dans la musique de "genre" quand bien même les "gens du genre" les détesteraient. Ils tournent si l'on veut le dos à l'auteurisme, coupable d'ostentation facile de la soi-disant supériorité de sa recherche du beau(ci git le cinéma français, ci-git antonioni et autres, ci-gisent les poètes qui s'annoncent comme tels, ci-git le "post rock", et autres néo-classicismes chiants etc.), comme ils tournent le dos au "genrisme", coupable de ses roulades de roulure avec le capitalisme.

C'est peut etre ce que à sa façon Kubrick a voulu faire (Shining). Mais je soupçonne Kubrick de toujours vouloir faire du grand cinéma. Gore ne fait que du petit métal. Et s'y tient.

On touche en fait à une de mes attitudes vis à vis de la musique. Un truc intime qu'il faudrait creuser avec plein de post trop longs comme celui-là. Le peineajouirisme. J'ai toujours eu du mal avec le genre "pur" (le reggae, le rock n roll, le metal, le funk, la house music). Mais j'ai toujours aussi du mal avec l'attitude auteuriste qui voudrait transcender tous les genres et faire de l'art pur. Et j'ai toujours aimé ceux qui ont le courage de réintroduire du questionnement sans pour autant prétendre sortir de la chose qu'ils questionnent. C'est pour ça que j'ai tant aimé la techno berlinoise qui reste techno et pourtant réintroduit ostensiblement la question esthétique et musicale dans une musique qui prétendait l'ignorer. J'avais mis quelque part dans le berlin sampler, que (sans le savoir) je suivais là Adorno (enfin un Adorno maison, mais passons). L'artiste se met des contraintes sur le dos (le minimalisme) pour lutter contre "l'éclipse de l'expérience musicale" qu'implique le balisage du genre. Donc on est toujours le cul entre deux chaises, on veut pas en faire simplement partie mais on ne veut surtout pas ne pas en faire partie non plus. Il y aura toujours des gens pour dire qu'ils préfèrent le "vrai truc"*** à la version distanciée. Pas moi. Ou pas toujours. J'ai toujours aimé les jeux avec le truc.

Cette attitude de foutus fiéfiés emmerdeurs leur a coûté tout espoir de succès, of course. C'est une très très étroite voie qu'ils se sont choisis, les Gore. Une über-sophistication qui se paie cash... Auteurisme qu'on tire depuis un gloubiboulga kitsch qu'on aime d'amour vrai pour de vrai, anti-auteurisme qui ne cherche pas à sortir de sa contingence pour devenir une oeuvre sublime mais au contraire prend un malin plaisir à rester le nez dans son caca, juste l'air le plus digne possible, seule solution décente pour ne pas gâcher la blague

Ce disque a été enregistré en janvier 87. La question de la souillure de la chanson par le bruit battait son plein (sonic youth et al. aux USA, c86 and al. en angleterre. Euh en France, rien). une belle mélodie, plein de boucan. salir le joli. certes. premier degré de la perversité. Premier cercle de l'enfer.
Mais l'attitude inverse qui consiste à épurer des objets bien gerbis indécrottables tiré des bas fonds de la culture populaire a quelque chose de bien plus retors (certains morceaux de Suicide ou de Alan Vega tiennent je crois de cette démarche). Gore aurait peut être plus à voir avec un Jeff Koons. d'ailleurs, mêmes années. le premier lapin en ballons refait en métal de Koons est sorti pour la première fois de son atelier pendant que les Gore répétaient ce disque, en 86. Mais Gore a beau tirer son art du kitsch, ils ne font pas pour autant un art kitsch, c'est toute la différence.

C'est la différence entre le narquois et le cynique. Le narquois ne cherche pas votre assentiment. bien au contraire, il narque... il joue à ne pas être sympa. il n'a rien à vendre. il est là pour faire chier. Il fait de son machin métal un objet de spéculation, au sens intellectuel du terme. De spéculation oiseuse qui n'a rien d'autre à dire. D'énigme pour le plaisir de l'énigme. De l'autre côté du spectre l'affreux cynique cherche votre assentiment pour pouvoir en profiter (et donc vous traiter de con par derrière). Le cynique utilise le joli impensé du kitsch pour faire du joli pensé. Le cynique veut que vous trouviez sa blague marrante. il arrête pas de jouer du coude en vous disant "hey elle est bonne non ?". C'est l'oncle péteur, qui cligne de l'oeil comme un sourd mais un oncle péteur qui ferait son beurre avec ses blagues. Il passe son temps à chercher à augmenter la valeur de ses blagues, leur potentiel de séduction. Il fait le tapin. C'est un marché. Il enlève au bourgeois sa culpabilité à aimer les nounours en lui disant "hey gros nounours en métal à un million d'euro, mis au musée, c'est autorisé". Il discourt sur l'art et son fétiche tout en te refilant du plaisir facile et engrange les bénéfices matériels de son intelligence, et empoche ostensiblement le chèque qui fait partie de sa vaste blague. C'est comme ça, c'est Koons (ou si on veut un petit nouveau : seth price dont j'ai déjà parlé sur ce blog)qui aura les honneurs pour les siècles et les siècles. Gore sera oublié. Gore est déjà oublié.

Gore fait un travail de distanciation mais sans utiliser le moindre espace spécifique (la galerie, le musée) qui permettrait de vraiment distancier son machin. Il reste à l'intérieur de son cercle metal, il ne muséifie rien du tout, il n'artistise rien du tout. Du coup il ne t'enlève pas du tout la culpabilité qu'il y aurait à aimer le métal si culpabilité il doit y avoir. Il te fait juste du métal intelligent. Il te balance de l'oxymore dans le nez, et il l'assume. Je me souviens de réactions d'horreur de mes amis, et j'ai les noms, à l'écoute de ce truc. Parce que c'en est. C'est pas pour de faux, c'est juste pour de "mieux". Et Gore eux ils y ont consacré 13 ans de leur vie à répéter comme des chiens.

Gore ne recherchent rien d'autre qu'une ascèse esthétique tordue. Le graal.

Je reviendrai peut etre un jour sur le cirque pas croyable de leur double album postérieur, celui de 94 ou 95 par lequel je les ai découverts, celui où ils ont fait parler des acteurs en 5 langues différentes et mixé des bruits concrets sur leur metal, comme une sorte de théâtre brechtien hyper distancié para symphonique dégueulasse (c'est un compliment). Mais franchement tout avait été dit avec ce disque.



*** un peu comme les" vrais" fous de reggae n'aiment pas les trucs techno dubs berlinois qu'ils considèrent comme au mieux des légèretés au pire du pillage. on les voit les collectionneurs de white labels blancs à dread locks souvent bien plus ayatollah que les jamaïcains, mais passons, passons passons.

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