01 août 2012
Les enfants on se tue à vous dire que rationalisme morbide et humanisme ne sont ... (2)
Piquons nous d'interprétation picturale, et ne lésinons point sur nos effets : Les Ambassadeurs de Holbein n'est pas du tout une "vanité". Le placement du crâne en anamorphose mathématique ne nous dit pas que la mort finira par l'emporter sur l'humanisme et ses réalisations qu'on trouve sur l'étagère entre les deux personnages. Mais que l'humanisme porte en lui la mort. Qu'avec lui, l'homme devient la faucheuse. Qu'il est une méthode de mise à mort.
Un crâne mis en évidence/crypté (oui, les deux à la fois, délicieuse incertitude qui est aussi en soi déjà une bravade contre les fantasmes de certitudes) devant les outils de l'humanisme triomphant et toutes ces réalisations indiscutables de la civilisation ne serait-il pas plutôt le symbole évident de la morbidité de ce même humanisme ? Le crâne rappelle-t-il la fragilité de la vie ou la morbidité intrinsèque de la science, de l'abstraction fonctionnaliste qui pense toujours contre la vie ? Holbein est-il une sorte de journaliste à Télérama ("le peintre dans son génie et sa sagesse rappelle aux regardeurs la vacuité de l'existence et la fragilité de la vie") ou a-t-il assez de perversion* pour penser la critique du modèle de civilisation qu'il peint (il peint des ambassadeurs d'un système bien plus que d'un pays) ? Holbein se moque-t-il des deux ambassadeurs français imbus de leurpouvoir/savoir ou ne montre-t-il pas qu'ils portent en plus de leurs robes longues/robe courte, la mort elle-même ? Beaucoup d'objets de cette belle étagère sont des outils de navigation et de calcul. Retrait des conditions de la vie au nom de la découverte de ses lois, carte contre territoire. La corde du luth est brisée parce que l'harmonie de l'homme humaniste avec le monde est impossible... La "mathesis universalis" est un culte du non-vivant. Bacon (le philosophe pas le peintre, ni le jambon) qui est né trente ans après cette peinture a pu dire qu'il fallait "forcer dame nature". N'est-ce pas plutôt ce que les amabssadeurs nous disent ? Qu'ils vont joyeusement la retourner et lui vider les tripes avec leurs outils tranchants ?
A mettre les réalisations de l'homme en terme de maîtrise du monde au centre de tout (au centre du tableau, dans une position plus importante que celles des hommes eux-mêmes), ne montre-t-on pas que la guerre à l'univers est déclarée ? Holbein s'était distancé de ses premières amours humanistes (Erasme, More), peut-être par calcul politique. Thomas More, son ancien protecteur, est exécuté, par son nouveau protecteur, Cromwell (enfin si j'ai bien compris), lui aussi un grand défenseur des arts et des sciences. Ce qui évidemment doit inciter à une certaine prudence dans les déclarations d'amour. Holbein le jeune réalise donc un léger défaut à la cuirasse de l'Europe : l'humanisme est joli, il est fort, il ira loin, et il pisse le sang. On note d'ailleurs qu'un de ses contemporains, Agrippa, lui aussi allemand, alchimiste très lu à cette époque, publie "de l'incertitude et de la vanité des sciences et des arts" et les dénonce comme aussi néfaste que la magie... Merci à Alex Nagel pour ce tip... Vous qui êtes du genre retors noterez que Agrippa parle justement de "vanité" de la science. Alors tenons-nous en là : la vanité du tableau ne signifie pas tant qu'on va tous mourir un jour, mais que nos méthodes sont elles-mêmes des agents de la mort. C'est une vanité des vanités, une méta-vanité. La mort ne plane pas au dessus comme la damoclès, nous l'avons en main et la répandons partout. Capito ?
* Le peintre qui m'a l'air du genre taquin ne manque pas de glisser moults énigmes qui rendent absolument indigestes les interprétations courantes du tableau. Toutes embarquées dans des questions assez hallucinantes d'astronomie et de numérologie (CQFD).
Pour une lecture homo-érotique, c'est par ici (et c'est pas mal du tout) http://web.archive.org/web/20060423155438/http://www.newcastle.edu.au/school/fine-art/arttheoryessaywritingguide/analysisofhansholbeinstheambassadors.html