21 novembre 2011

 

Florence Hartmann, la justice internationale et ses compromissions

Je reproduis ici le texte de l'appel pour Florence Hartmann publié dans Le Monde aujourd'hui, et ensuite je commente, depuis mon maintenant lointain souvenir d'ex-employé de la Cour pénale internationale.


La peine de prison infligée à Florence Hartmann est injuste et infamante
La France ne doit pas ajouter le déshonneur à l'injure. La France ne doit pas "arrêter immédiatement" la journaliste Florence Hartmann comme le lui ordonne le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) qui a lancé le 16 novembre un mandat d'arrêt international.
La journaliste française est menacée d'arrestation pour subir une peine de prison infamante de sept jours au tribunal de La Haye, entre les Mladic et Karadzic, parce qu'elle a refusé de verser l'amende de 7 000 euros, confirmée en appel le 19 juillet, pour "outrage à la cour" tant que ce jugement n'aura pas été passé à la loupe de la justice française.

Depuis trois ans et demi, les poursuites contre Florence Hartmann sont un cauchemar pour la journaliste, littéralement persécutée. Pour nous tous, avocats, juristes, responsables d'ONG, journalistes, écrivains, artistes qui nous battons depuis vingt ans pour que se dresse une justice internationale contre les barbares et les tyrans, c'est une insulte à la citoyenneté. Le TPIY a été créé pour juger et condamner les responsables de crimes de guerre et de génocide, pas pour s'acharner sur les journalistes qui font leur métier, même s'ils dérangent.

Florence Hartmann a été condamnée pour trois pages d'un livre d'enquête : Paix et châtiment (Flammarion, 2007), qui traite de l'indépendance et de l'intégrité d'une justice internationale naissante et exposée aux pressions incessantes des Etats. Dans les fameuses pages, elle explique comment des juges du TPIY ont renoncé au droit pour satisfaire les attentes clairement illégitimes d'un Etat, la Serbie. Elle y démontre que des juges internationaux ont choisi, en leur âme et conscience mais sans aucune base légale, de faire cause commune avec cet Etat soupçonné de génocide contre les victimes afin qu'elles ne puissent pas avoir accès aux preuves leur permettant d'établir la vérité sur la responsabilité de cet Etat.
Une accusation très grave, mais parfaitement fondée, étayée, argumentée et pour laquelle Florence Hartmann n'a transgressé aucune règle, aucune légalité, se tenant constamment au champ qui est le sien, le journalisme d'investigation. Ce que le tribunal a fini par reconnaître. Mais ils ont maintenu que ses écrits constituaient une entrave à la justice. Expliquer comment des magistrats appliquent le droit et le contournent est désormais devenu un crime, qui plus est international.
Censure et arbitraire
La procédure mise au point par le TPIY évoque davantage les procès dans les régimes totalitaires que les grands principes du droit international auxquels ils sont censés être attachés. Car ce sont les juges qu'elle critiquait qui ont porté plainte eux-mêmes, ont ordonné puis dirigé l'enquête, l'ont mise en accusation, ont nommé le procureur, suggéré les témoins à charge, évacué les témoins à décharge, prononcé la condamnation et condamné en appel. Tout cela sans jamais signifier précisément les charges qui pesaient contre elle pour mieux saboter sa défense.
Lorsque l'incapacité à tolérer la critique pousse des juges à bouleverser l'ordre juridique international, c'est à la crédibilité de la justice internationale qu'ils portent atteinte.
Mais la question pressante qui se pose aujourd'hui est en effet le prix à payer pour sauvegarder une justice internationale sans laquelle la lutte contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité et de génocide resterait une chimère. Ce n'est pas au prix de la censure et de l'arbitraire que cette justice assurera sa survie mais au prix d'une parfaite indépendance et impartialité, d'un respect du droit et d'un travail irréprochable.
Par la reconnaissance aussi de la "faillibilité" de ses membres. A l'international, les juges sont créateurs de droit et l'autorité de la chose jugée en appel est absolue. L'erreur étant humaine, il est impératif de pouvoir saisir une juridiction indépendante des instances pénales internationales lorsque celles-ci font preuve de défaillances ou de dysfonctionnements.
L'accès à la justice est un droit que la France est tenue de garantir à ses citoyens. C'est pourquoi la justice française doit se prononcer sur le bien-fondé du mandat d'arrêt lancé par le TPIY et obtenir son annulation car son maintien équivaudrait pour la journaliste à une interdiction de voyager et de travailler, donc à une nouvelle atteinte à la liberté d'expression. La justice française doit aussi vérifier si le procès conduit à l'encontre de Florence Hartmann est bien fondé en droit, en particulier au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui protège la liberté de la presse.
Depuis Vichy, aucun journaliste n'a été emprisonné en France pour ses écrits. Il n'est pas concevable de céder aux injonctions de juges internationaux sans s'assurer au préalable qu'ils ont agi en toute conformité avec les principes du droit.
Georges-Marie Chenu, ancien ambassadeur ; Antoine Garapon, magistrat ;Jean-Luc Godard, cinéaste ; Gilles Haéri, directeur général de Flammarion ;Louis Joinet, magistrat ; Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF ;Olivier Rollin, écrivain ; Gérard Rondeau, photographe ; Thierry Schwarzmann, avocat.




Bon. Un truc m'avait fortement déplu dans ma courte expérience à la cour pénale internationale. Quelque chose que j'ai trouvé très douloureux en fait. Les juges se vautrent dans le luxe. Ils sont payés 15 000 euros par mois pour mettre en place un règlement intérieur (rédigé surtout par leur armée d'assistants) et attendre qu'on vienne les solliciter. Le placement de juges de grande qualité à ces postes tient  en fait de la consolidation d'une classe supérieure +++, d'une élite qui se rétribue grassement sur le système international. Ce qui passe encore pour les fonctionnaires de l'ONU (mais pour quelle raison honteuse ne paient-ils pas l'impôt ? je ne trouve aucune justification un tant soit peu valide à cette règle d'exemption fiscale), devient absolument obscène dans le cadre du juge du génocide et des crimes contre l'humanité. La raison pour laquelle ces gens sont si bien payés (sans compter les hallucinants avantages en nature) est absolument injustifiable. On les surpaie soi-disant pour éviter la corruption (sous-entendu : les gens très riches sont moins corruptibles que les pauvres ?), mais dans les faits on les surpaie parce que les gens qui édictent ces règles ne peuvent pas penser un système où une autorité morale ne soit pas aussi une autorité matérielle, c'est à dire une autorité qui se vautre dans le luxe. Et puis ceux qui édictent ces règles peuvent à bon droit briguer les postes. C'est pratique hein. Chauffeur, villas, déplacements payés, 15 000 euros (180 000 nets plus 18 000 de "special allowance", je ne sais pas ce que veut dire "special allowance" mais il faut bien donner de l'espoir aux gens. Ce salaire est statutaire. Une lecture de la partie salaires du traité permet d'ailleurs de bien voir comment on se représente la justice en termes matériels, c'est savoureux : http://untreaty.un.org/cod/icc/asp/2ndsession/report/english/part_iii_e.pdf ). Mieux payé que Sarkozy, plus discret, moins chiant, on peut jouer au solitaire dans son bureau quand il n'y a pas d'affaire en cours (et la CPI a mis des années à en avoir. Le fait que les juges pendant les années 2003/2004 étaient payés à rien foutre était de notoriété publique parmi le petit personnel dont je faisais partie).
C'est de la  glorification de l'élite par elle même : installer une classe intouchable, progresser dans l'intouchabilité. Alors que lesdits juges (il s'agit ici du tribunal voisin du TPIY, mais franchement je ne vois pas pourquoi différencier) se permettent de juger des journalistes quand des papiers leurs déplaisent, de les mettre aux fers et de continuer à se pavaner dans leur costume Armani comme sauveurs du genre humain tient absolument de l'obscénité la plus crasse, mais certainement pas de la surprise. On se plaint des financiers carnassiers qui ont au moins le mérite de la franchise ("Goldmann-Sachs rules the world" comme disait l'autre), et dont on n'attend rien d'autre que leur panurgisme.

J'ai quitté la CPI pour plein de mauvaises raisons. Mais j'en avais deux bonnes. Mon aversion à la moquette grise et aux faux-plafonds du monde du travail de bureau, surtout celui de l'administration. Celle-là se discute, et le débat intérieur a été long mais il est terminé. Et l'autre : ne pas participer à la création d'une caste d'intouchables qui se nourrissent sur l'idéalisme des gens. Elle pouvait apparaître comme un prétexte idéologique pour mes propres légères turpitudes avec le monde adulte. Peut-être. N'empêche qu'elle était loin d'être une idée folle.

Cette prise d'otage de la justice internationale par les forces sombres du pognon est un drame. Une corrosion de plus de l'édifice assez chancelant des idées fortes de la société post-Lumières. Florence Hartmann, dont je n'ai pas lu les écrits, paie au moins cela, sa tentative de remettre leur infaillibilité papale en cause. Elle n'a fait que publier un livre, la mettre sur le banc à côté de Mladic montre bien à quel point ces gens n'ont aucun respect de leur fonction qui devrait être la plus haute de la planète. Ils rabaissent leur métier à de la vendetta, et en prenant leur infaillibilité comme argent comptant oublient en chemin la hauteur de vue dont ils sont supposés être le plus bel exemple de l'univers.
Pourquoi ne pas attaquer Hartmann au civil/pénal en diffamation si elle a menti ?

Dégoût donc, mais aucune surprise, je l'avais senti dans ma courte expérience de là-bas. Des fonctionnaires idéalistes (oui il y en avait), un procureur assez merveilleusement charmeur et une bande de placardisés hautement dangereux. La justice internationale sert dans les faits aux États comme mise en réserve de fonctionnaires méritants. C'est un gigantesque susucre et une grande maison de retraite dorée. Voilà pour les illusions. Mais au moins pourrait-elle peut-être servir à quelque chose ? Je finis par en douter. Les juges qui sont le haut de l'échelle ne peuvent pas avoir le moindre contact avec le réel en étant traités comme des loukoums. Or c'est justement eux qui vont juger des affaires humaines. On nous laisse croire que le calme et le bien-être nécessaire à la bonne balance de la justice réside dans le confort matériel. Et puis quelle définition est-ce là de la connaissance du monde, quand aucun aspect de votre vie matérielle ne peut poser problème ? La hauteur de vue a bon dos. Alors évidemment, avec autant de fric et de pouvoir en jeu, le risque de glissement à la Borgia existe. En attendant Borgia, on a Kafka. C'est un bon début.
Les glorieux inventeurs du tribunal de Nüremberg et son incroyable machinerie de justice doivent se retourner dans leur tombe, pour y vomir.

PS le 14/12, ai trouvé cet article via béné C.
http://www.article19.org/resources.php/resource/2883/fr/Le%20Mandat%20d’arrêt%20à%20l’encontre%20de%20Florence%20Hartmann%20entame%20l’autorité%20morale%20du%20TPIY

tout y est...




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