23 décembre 2007

 

Nick Cave, Warren Ellis : The Proposition


Toute personne qui s'est déjà interessée à Nick Cave, pour ses nombreuses merveilles du début des années 80, pour Birthday Party, pour l'intolérablement excellent "Murder Ballads", pour son livre "L'âne vit l'ange", doit jetter un oeil à "The proposition", un western australien dont il a pondu le scénario.
Bizarement, Mad Max mis à part, c'est le premier western australien qu'il m'ait été donné de voir, étrange lenteur à se mettre au travail pour un pays à l'espace aussi photogénique et au passé si heurté. Cave ferait-il là aussi un travail de mémoire que les surfeurs de Sydney n'ont pas trop envie de faire ? C'est une bonne question.

Nous tenons là un merveilleux "petit film", pas de ceux qui deviendront énormes et dont on reparlera dans les écoles de cinéma mais certainement de ceux qui vont drainer un (petit) public ébahi. Et pour nous européens, enfin un film valable sur les racines pourries de la nation australienne (voir notamment le disclaimer au début "ce film contient des textes offensants pour les peuples aborigènes" hahahaha. Le génocide c'est tout à fait ce genre de choses que les anglais, les résidus renforcés de colonies anglaises qui dominent encore le monde, pourraient, avec leurs délicieux euphémismes, considérer comme "inapropriate" ou "offensant").

Le scénario : un frère d'une famille de bandits irlandais doit pour sauver son petit frère fait prisonnier, assassiner l'ainé, le chef de la bande, qui est réfugié dans un lieu désertique et inaccessible et terrorise visiblement mêmes les "blacks", les aborigènes locaux. Il ressemble très furieusement au Kurt du Coeur des ténèbres ce grand frère. Même desespoir, même fascination pour l'horreur dont on ne sait si c'est celle qu'il génère sur les autres ou celle qui le terrorise de l'intérieur. Pendant que le frère-fratricide s'engage dans le bush, dans la nature terrifiante et "mélancolique" comme la décrit le personnage excellent de John Hurt, chasseur de prîme lettré et alcoolique, on suit la vie dans une petite ville champignon. Son racisme ordinaire, la rudesse des rues et des charpentes, l'imitation dérisoire de la vie "anglaise" au milieu de cette savanne ocre et eucalyptus. L'Australie y est décrite comme le trou du cul purulent de la planète. La galerie de personnages, tous plus sales, malsains et/ou mystiques les uns que les autres, est du grand Nick Cave. Le drame se construit peu à peu, prévisible mais presque secondaire. Les dialogues sont souvent trop écrits. Une chose qu'il faut accepter pour continuer à savourer ce plaisir douloureux et poussiéreux.
Enfin ! Nick Cave quitte l'amérique. Même si il n'y a jamais vécu à ma connaissance, il l'a toujours raconté, come pays ou comme entité symbolique. Il y trouvait deux sources poétiques, deux mythes fondateurs : le rock,

Tupelo et son texte douloureux et héroique sur le frère jumeaux du king, le "premier né", mort-né, dans la misérable cabanne où leur mère les expulse sous un démentiel orage qui fait bien les choses, puis l'enterre dans une petite boîte à chaussure

Come sunday morn the first-born dead
In a shoebox tied with a ribbon of red
Tupelo-o-o! hey tupelo!
In a shoebox buried with a ribbon of red



et une entité plus abstraite : l'humanité abandonnée à elle même, l'homme sans dieu, le pionnier dans toute son horreur, quelque chose de profondément australien, mais aussi tout simplement biblique.

Le livre de Nick Cave, écrit pendant les années 80 lui aussi (et en grande partie à Berlin d'ailleurs) est hanté par ces mêmes obsessions, d'un abandon de dieu, d'une nature hostile, d'une humanité à la dérive. Avec toujours cet humour cinglant et sanglant. Douloureux.

Le film est donc passionannt au moins à deux titres, pour sa leçon d'histoire australienne, déprimante, prévisible mais nécessaire, pour la plasticité démente de ce bush, pour la taille inhumaine de son soleil, et, pour ceux qui aiment Nick Cave, pour ce retour aux sources.
Mais ce qui le rend fulgurant et indispensable, c'est sa musique.

Voilà que nous passons d'un objet cinématographique intéressant à un pur délire sensuel. La musique de Warren Ellis et Nick Cave est probablement ce que le vieux Nick a fait de mieux depuis une décennie.
Chose étrange, sans jamais avoir entendu parler de ce film je la connaissais déjà en partie, j'en avais téléchargé des MP3 sur le blog défunt, mais peut-être le meilleur blog de musique de l'univers connu, de David Fenech, dont je recommande très vivement la visite rétrospective, il y figure des dizaines de MP3 légalement téléchargeables d'une foutre pleiéade d'artistes très souvents inconnus, et mon itune ne s'est jamais remis de cette découverte.

J'avais donc déjà écouté de nombreuses fois quelques unes de ces merveilleuses petites tranches de drones, longues nappes acoustiques d'harmonium sur lesquelles se posaient des voix parfois éthérées, parfois graves comme l'enfer (le Nick lui même), ses basses répétitives et espacées, ces violons sacrés qui font bondir l'âme. Elles n'ont pas besoin de l'image ces musiques. Mais le film ne peut même pas se concevoir sans elles. Warren Ellis pratique un minimalisme électrique et accoustique qui est une leçon d'espace. Moins vous en mettrez plus les strates seront sensibles, plus chaque élément se détachera sur le paysage aride. Peut être la meilleure BOF que j'ai entendu depuis le Dead Man de Neil Young. Warren Ellis est un membre des bad seeds, un petit nouveau qui a du arriver il y a moins de 15 ans, et le Nick serait bien inspiré de lui laisser plus de place. Ceux qui comme moi se lassent de ses chansons, qui au fond nous rejouent toujours la même affaire, trouveront là un espace entier dans lequel ils n'auraient même plus osé rêver voir le Nick évoluer. Il y a en germe le mariage fascinant d'un minimalisme américain (tiens tiens) façon John Cale, et d'une poésie moins loghoréique, plus posée du Cave-man. Des albums comme ça il faudrait en pondre une bonne vingtaine pour en épuiser le concept. Mais peut-être ce genre de magie ne peut-elle exister qu'une fois. Difficile question.


PS : J'apprends d'ailleurs par un petit coup de Google que les deux ont aussi composé la musique de "l'assassinat de Jesse James", un nouveau Western avec le Brad Pitt. Une nouvelle carrière d'Ennio pour Cave-Ellis ?

Comments:
Oui, j'allais te le dire. Et quel titre : "The Assasination of Jesse James by the Coward Robert Ford", traduit littéralement et in extenseo (et bravo, c'est beau) par "L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford".

Puissance du mot "lâche" ! Quelle insulte. Ca renvoie à Goossens ("Route vers l'enfer") où le Père Noël est traité de lâche par ses... camarades de régiment, parce qu'il ne veut pas tirer sur des enfants. A-t-on assez loué Daniel Goossens ? Jamais !

Une chanson des Pogues parle de cet enfoiré de Robert Ford : je crois qu'elle s'appelle simplement "Jesse James", d'ailleurs. C'est sur "Rum Sodomy etc."

Ah quels titres, bordel. Que c'est un beau titre qui luit.
 
Euh... "Que c'est beau un titre qui luit".
 
oui j'avais trouvé ce titre très beau. Reste à savoir si le film est bon. Il paraîtrait que vi !?
 
Je réalise d'ailleurs que le Cave et le Pogues man avaient fait un disque ensemble... je ne l'ai jamais écouté. Mais le ceinturon est bouclé, non ?
 
Ni vu le film (dommage) ni écouté l'album (ça me dit qqch en effet). Je vais fouiller, tiens. Ca doit être quelque peu rocailleux et alcoolisé.
 
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