22 octobre 2006

 

Monsieur Gismet




Ah ! Monsieur Gismet ! Pardonnez moi ! Pardonnez cette épouvantable photo qui ne rend rien de votre talent ! Mais je n'ai pas eu le courage d'en demander une deuxième ! C'était déjà pas mal non que j'ose venir vous voir ? Mais voilà je n'ai pas voulu, pas su, pas pu, abuser de votre temps.
Monsieur Gismet était d'ailleurs plutôt content, satisfait comme tout artiste après un show réussi, que je vienne lui demander une photo. Il m'a dit sobrement, "thank you".

J'ai décidé de l'appeler Monsieur Gismet, parce qu'il faut bien lui donner un nom. Monsieur Gismet est un saleman. Dans le Vapür pour les Îles-aux-Princes, il a écrasé la concurrence. Les vendeurs de sismit qui se baladent avec une grande planche de bois en guise de plateau, les serveurs de thé, les violonistes un peu agaçants (mais sans commune mesure avec leur équivalents parisiens), le représentant en stylos dont je n'ai pas très bien compris les techniques commerciales (le gars arrive et montre ce qui ma fois est un très beau stylo argenté. il en parle avec un ton égal pendant bien 5 ou 6 minutes mais visiblement personne ne l'écoute. il se lasse. il stoppe. il revient trois minutes plus tard. je me suis même demandé si il vendait son stylo ou appuyait ses théories conspirationistes avec son stylo, pour se donner un aspect professoral. était-il un vendeur ou un cassandre ? Je n'en saurais jamais rien. On appelle ca la barrière de la langue)... et surtout les muets aux produits indéfinis (embouchure de narguilé, jouets pathétiques) qui passent entre les rangées, l'air piteux.

Monsieur Gismet arrive en toute fin de parcours, juste quand les gens comencent à être las, mais pas trop tard (sinon les gens penseraient à se lever, aller vers la sortie etc). Il est bien mis monsieur Gismet, dans un beau costume à rayures discrètes et son crâne est brillant. Et tout de suite il joue de la voix. Il s'impose mais sans jamais forcer, sans laisser paraître la moindre nervosité, la moindre urgence. Il est là et c'est comme une évidence. Il parle distinctement avec un ton rieur, et il roucoule, trouve des temps de respiration, ménage l'auditoire. C'est soufflant même sans y comprendre un traître mot. en deux minutes, une ou deux blagues bien senties façon chauffeur de salles de Broadway, il en est à déballer son article, d'un vieux sac plastique noir remplit de boites. 15 couteaux pour tout faire dans la cuisine, rangés dans un très joli présentoir pyramidal en bois (traduction apocryphe hein) !
Et sa voix jusque là rieuse se fait plus sévère. Il en déballe un, énorme, et tranche d'un coup une minuscule lamelle de papier qu'il tient à peine du bout des doigts, sans aucune prise... mais la lame coupe comme si de rien était. Une petite blague (son auditoire du pont avant du vapur est absolument acquis, fasciné) et il part d'un air solennel chercher quelque chose dans la poubelle... ça n'est pas très digne que je me dis ... mais le voilà qui sort une canette de coca et la montre à tout le monde comme un magicien le ferait avec son haut de forme. Et d'un coup sec il la découpe, sans résistance, sans le moindre crissement, à peine un petit bruit sec. Il passe son doigt sur la lame pour montrer a quel point elle est intacte, immaculée. Le voilà qui revient à son camp de base, sur le banc du milieu bien en vue et qui tire la paire de ciseaux du socle en bois. Il fait un signe à une dame déjà conquise et lui dit qu'il s'occupera d'elle très bientôt. Pendant une seconde je me dis qu'ils sont de mèche, mais c'est vraiment faire insulte à son talent. Chez les ménagères, on le sent, une certaine fébrilité règne. La petite vieille en face de moi a laissé tomber son magazine sur ses genoux. Je crois qu'elle commence à compter mentalement ce qui lui reste dans son portefeuille.
Et hop le voilà qui recommence sans vergogne le coup de la canette mais avec ses ciseaux. ça tranche comme si c'était du papier de soie. Même succès.
- Et là ces 15 couteaux et ciseaux, cet ensemble complet ? pour quel prix vous demandez vous mesdames , messieurs ?

Monsieur Gizmet ne lésine pas sur les effets dramatiques, le voilà qui sort de sa poche un simple billet de 10 et le lève aussi fièrement que Zidane aurait pu lever la coupe.

- 10 Lira pour 15 couteaux et leur support en bois (le prix, à cause d'une bête histoire d'angle de vue et d'incompréhension linguistique est en fait resté un mystère pour moi. Il y a au moins un billet de dix dedans, ca c'est sur, mais selon toute vraisemblance c'est un peu plus cher que ça, ou alors Monsieur Gismet écoule du stock tombé d'un camion. Ce qui à tout prendre se tient aussi) !
- Et en plus je vous offre en cadeau, et là il sort fièrement son arme secrète, la "pochette" (pocet est le mot turc pour sac plastique au fait), avec ses lacis dorés sur fonds noir, archi-luxe.
C'est tout simplement la frénésie (et bien entendu l'hilarité générale). De partout sur le pont on veut attirer l'attention de monsieur Gismet. Il fait son tour. Je compte 8 ventes. Il doit aller chercher son stock pour pouvoir suivre. Il fait passer quelques exemplaires à des femmes excitées, tout de suite vérifiés d'un oeil et d'un main experte (équilibre, qualité de la confection, épaisseur de la lame) par leurs maris qui a chaque fois donnent l'assentiment d'un petit signe de tête. 10 minutes. 8 ventes. Monsieurs Gismet s'essuie le crâne avec un petit mouchoir et le Vapür arrive à destination. Perfect Timing. Il souffle et regarde à la cool le bateau qui s'accroche au quai de la première île. Pour un peu les gens applaudiraient. Je vais le voir et lui demande "photo" en montrant mon appareil et il me fait un petit signe de la main, allez y mon brave, bien sur.

Pourquoi les Îles-aux-Princes ? Parceque je me suis levé trop tard pour la balade jusqu'à la mer morte. Et que j'ai abandonné l'idée du Hamam par manque de courage face au gant de crin, sous la fallacieuse excuse que ça coûterait 11 euros.
Les Îles-au-Prince ? Le Deauville stambouliote. Des baraques ne bois art-déco, des villas de luxe sur la mer, des petits restaurants touristiques, des petites jettée sur la mer avec des kiosques au boût. Il avait fait si beau samedi que je me suis dit dimanche matin que le parapluie serait une insulte. Il a donc plu tout du long. Quand je me suis décidé à rentrer, vaincu par le déluge, a peine ai-je posé le pied dans mon Vapur que ça c'est calmé.
N'empêche. J'ai visité à l'oeil le Splendid Otel, superbe batisse 1900 avec ses beaux salons au chic années folles et son patio Bauhaus, et fait un petit tour au bord du port. J'ai pris un thé dans un café standing, à quatre fois son tarif habituel. Une seule politique dans ce genre de nid à palace : aller vers le luxe, ne pas le fuir, se payer un petit truc dans le bar de l'hotel. C'était beau, c'était mignon, ca sentait le crottin (les voitures sont bannies sur les îles). A ce propos, on a finalement peut être pas tant perdu que ça à échanger les canassons contre les voitures dans la "ville moderne". L'odeur du crottin reste quand même une odeur de merde.

Samedi fut social avec Filiz et Mustafa et d'autres de leurs amis. Avons fait une ou deux galeries puis été à Cihangir, le quartier le plus boboesque de cette ville. Les immeubles anciens ont tous la vue sur la mer, les façades sont peintes de couleurs vives, on distingue partout des terrasses fleuries et vertes sur les toits. Pendant qu'on prend le café, un vendeur de fruits avec une charette à bras, un petit démarcheur de tickets de loto, quelques barbus dignes du pire cauchemar de Georges Bush, des moustaches bien fournies, bref quelques signes évidents, rassurants, que toute la planète n'est pas encore tout a fait canalsaintmartinisée, williamsburghisée. Ai vu ce soir une femme d'une vingtaine d'année en converse argentée, pantalon large kacki, piercing au nez et voile vert sur les cheveux. Ca vous donne une idée de l'ambiance non ?

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