15 janvier 2008

 

Control, Corbjin et l'art du portrait

vendredi j'ai été voir Control qui vient de sortir ici... Ces 4 mois de retard ne manquent pas de m'étonner... mais nous n'allons pas nous lancer dans un papier sur les mérites comparés des systèmes européenns de distribution du cinéma. Bien. Que dire ? C'est une énorme responsabilité que de pondre sur Joy Division. C'est obligatoirement, inévitablement, une mission impossible. Le mythe mondial est encore petit mais son intensité chez ceux qui l'ont vécu -hum- dans leur chair, rend le terrain foutrement glissant. Je crois que j'aurai adoré ce film à 20 ans. Pour son noir et blanc, ses cadres (pas toujours mais souvent) lèchés comme la pochette de Closer, et sa sombre atmosphère. Pour sa réussite globale. Je crois pourtant que je n'aurais pas complètement été dupe. Les raisons de la mort de Ian Curtis (histoire d'amour impossible, mauvais choix de vie et responsabilité afférentes, le fait que vivre c'est perdre, le succès du groupe qu'il a du mal à gérer, la souffrance adolescente) qui font la substance du film ne me semblent tout de même pas être le BON angle d'attaque. Ian Curtis ne peut pas, ne doit pas être résumé à son geste final tragique. Sa douleur est bien là dans le film, pas de doute, et certains moments sont proprement dévastateurs. Quand le réalisateur isole la prise de voix de Isolation pendant l'enrgistrement de Closer, et que les paroles sautent aux oreilles, sautent à nos petits yeux qui pourraient si l'on y prenait garde se mettre à lâcher de l'eau, c'est parfait, c'est simplement éreintant. Ian Curtis ne faisait pas qu'écrire des chansons pour un groupe de rock, il vivait chaque mot, et Isolation n'est rien d'autre que la description du monde dans lequel il évolue, d'une très très grande fragilité, d'une douleur cinglante et lancinante. Mais tout Ian Curtis ne tient pas dans cette souffrance. Le film fait l'impasse sur de nombreuses choses au risque de fantomatiser complètement, d'iconiser, son personnage.

- je ne peux pas avaler une seconde que ses chansons étaient toutes écrites en 4 minutes top chrono dés que sa femme avait le dos tourné après une engueulade. Je ne peux et ne veux pas souscrire à ce que le cinéma nous fait souvent croire avec les artistes : que leur talent est une sorte d'incarnation, de génie révélé, et non avant tout une PRATIQUE. C'est bien simple : nous nous tapons là un film sur un des groupes de rock les plus marquant de l'univers connu sans qu'on nous montre une seule scène de répétition, sans que l'on sente une évolutiondans leur son ou leur démarche, sans qu'on les voit s'engueuler entre eux, rien. Tout est comme "révélé". Le travail et le quotidien font de mauvais ressorts dramatique, je le conçois, mais c'est là un défi qu'il faudrait relever. Le processus créatif n'existe pas dans ce film. Et moi je refuse d'avaler un Ian Curtis qui ne crée pas. C'est justement 50% au moins de sa vie. Et là on n'en sait plus sur son métier-à-manger à l'anpe locale que sur son travail de musicien, sur les lignes de partages, de dissension et d'accord, de violence même qui peuvent exister avec les autres, qui eux non plus ne se contentent pas d'être des anglais idiot qui jouent de la basse. On ne pond pas "No love lost" en pensant à Manchester United. Ou alors si c'est le cas (et mon dieu, seigneur jésus, vishnou et les divinités inférieures du panthéon grec : c'est probablement le cas), qu'on me le montre !

- Ian Curtis a bien du sourire une fois ou deux dans sa vie, se bourrer la gueule avec ses amis, balancer une bonne blague de mauvais gout, se plaindre de la vacuité de sa vie de rock star (qui dans le genre vacuitif se pose là), ironiser sur les jambes de Margaret Thatcher. Bref Ian Curtis si ça n'est que de lui qu'il s'agit, existe hors de son suicide et hors de son processus créatif. Ce que Corbjin nous présente ici c'est une modélisation du personnage qui ne devient plus qu'un type, qu'une sorte de reflexe psychologique, qui n'a plus de lien avec le monde en dehors de sa souffrance (ce qui dans les dernies mois doit se justifier, mais le film traite d'un temps plus large).



Bon ce sont des remarques purement factuelles. Un peu comme les emmerdeurs qui vous expliquent que James bond avait une cravate rouge dans la scène d'avant l'enlèvement de Ursula Andress par des Gnous, et qu'il ne pouvait donc pas la sauver avec une cravate verte. J'en ai conscience. Mais il s'agit là d'un film sur un parcours de vie, d'un portrait, et ce qu'on ne montre pas nous en dit autant que ce que l'on nous montre. C'est bien le choix de "cadrage narratif", de bornage du sujet, qui ne me satisfait pas. Sur l'exécution je n'ai rien à redire et ne me sens d'ailleurs pas compétent (l'acteur est excellent à mon sens).

Au bout du compte l'émotion est là et le film, si vous aimez le Joy a son intérêt. Il est beau, même. Il doit même en avoir pour ceux qui n'ont jamais écouté Joy, c'est une bonne question. Je regrette simplement que le rock n'ait pas encore eu un film capable de montrer autre chose que la "pompe" (parceque même ce désespoir devient de la pompe quand il est coupé du reste. tout comme ne résumer les Rolling Stone qu'à unelongue ligne de coke serait un tantinet partial, mais pas tout à fait injustifié), et je pense que Joy était un excellent sujet pour cela. Avez vous vu Pollock de Ed Harris ? La preuve en image qu'on peut tout à fait être interessant et se pencher sur la question de la création, sans non plus tomber dans la saloperie à thèse. Que de ne pas le faire, relève quand même de la défaite.

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